"Yovie Insan Nugraha pour Japfa 2019"
Bonjour Sophie et merci d’accepter de participer à nos “Portraits de Dames”. Championne de France à six reprises, Grand maître international féminin depuis 2004, Maître international d´échecs depuis 2009, tu fais partie de l'équipe de France depuis 2003 et tu as représenté la France aux Olympiades des échecs à 8 reprises. Tu joues actuellement pour le club de Grasse Echecs . On ne peut que te féliciter pour ce parcours aussi impressionnant que remarquable.
- Bonjour Jean-Luc et Merci. Mon parcours est un peu atypique et j'espère que le partage de mon expérience pourra inspirer des jeunes.
À quel âge et comment t’est venue la passion des échecs?
- J'ai voulu apprendre les échecs à 4 ans en voyant mon père jouer avec mon grand frère. J'ai découvert un peu plus le jeu à l'école primaire, j'ai rejoint mon premier club (le club de Wintzenheim en Alsace) et fait mes premières compétitions à l'âge de 7 ans. C'est à partir de 12 ans, après avoir joué mon premier championnat de France jeunes et rencontré à cette occasion l'entraîneur et MI Volodia Vaisman, que je vais vraiment me passionner pour le jeu.
Te rappelles-tu de tes premières compétitions? Pourrais-tu partager tes sensations au moment de tes premiers tournois, de tes premières victoires, ces moments lorsque tu t’es dit que tu étais capable d’obtenir de bons résultats et que peut-être un jour devenir championne de France ?
- Ma première compétition était les championnats du Haut-Rhin, où je finis vice-championne petite-poussine (j'ai encore la Coupe! :) ) Un titre départemental, c'était encourageant pour continuer! Mais, la concurrence est rude en Alsace, et je ne parviens pas à me qualifier pour les championnats de France.
Finalement j'obtiens mon premier titre à 15 ans, un peu à la surprise générale car les premières places étaient toujours prises par les mêmes joueuses depuis les petites catégories.
A 11 ans, je rejoins le club de Montpellier et je joue mon premier championnat de France en finissant dans le milieu du classement. Cela m'a vraiment motivée à m'entraîner beaucoup plus. Grâce à mon nouvel entraîneur, je vais progresser rapidement et chaque année je me rapproche des meilleures de ma catégorie.
Finalement j'obtiens mon premier titre à 15 ans, un peu à la surprise générale car les premières places étaient toujours prises par les mêmes joueuses depuis les petites catégories. Cela me permet d'intégrer l'équipe de France jeunes et de faire les compétitions internationales. C'est une expérience qui m'a beaucoup apporté sur le plan échiquéen mais aussi socialement.
A partir de là, les échecs vont devenir une priorité pour moi avec l'envie de remporter encore des titres chez les jeunes mais aussi viser l'élite chez les adultes. Après 3 titres de plus dans les catégories jeunes et 1 médaille de bronze aux championnats du Monde féminin -18 ans, je remporte mon premier National féminin à 19 ans lors des championnats de France d'Aix les Bains.
Tu as récemment décidé de t'impliquer directement dans la vie de la Fédération Française des échecs en t'engageant sur l’une des 3 listes. C’est une chance pour toute la communauté de pouvoir bénéficier d’ une expérience comme la tienne. Tu fais partie de ces joueuses devenues stars et aujourd’hui vous devenez des modèles d’inspirations pour une nouvelle génération. Le phénomène des réseaux sociaux, Instagram, Twitch, Twitter... et ces nouvelles joueuses de haut niveau qui sont aussi devenues influenceuses dans leur communauté contribuent à créer une nouvelle dynamique et apportent une image rajeunissante et moderne du monde des échecs.
Comment analyses-tu ce phénomène et es-tu favorable pour y participer?
- Les réseaux sociaux ont de plus en plus d'influence dans le monde d'aujourd'hui. Cela a été renforcé avec la crise de la Covid et les chaînes de streaming ont explosé avec le phénomène de la série Netflix du Jeu de la Dame.
C'est très positif et cela permet de se rapprocher du grand public, de faire découvrir un peu plus le monde des échecs et changer quelques à priori sur les joueurs d'échecs. Je suis présente sur Facebook et Instagram. Cela m'a permis d'avoir des contacts, notamment avec des organisateurs et des clubs. Cela demanderait beaucoup plus d'investissement pour jouer un vrai rôle d'”influenceuse”.
Je me suis rapidement rendue compte que pour réussir dans le streaming il faudrait y consacrer énormément de temps, et je voulais pouvoir continuer à m'entraîner.
Au moment du confinement, j'ai pensé à créer une chaîne Twitch, mais l'aspect technique m'a fait un peu peur... J'ai participé à quelques shows avec la chaîne ApprendreLesEchecs. Je me suis rapidement rendue compte que pour réussir dans le streaming il faudrait y consacrer énormément de temps, et je voulais pouvoir continuer à m'entraîner.
Pour l'instant, je garde encore des objectifs en tant que joueuse de compétition et ça reste ma priorité. Mon engagement avec la liste Unité pour les élections de la FFE me prend aussi pas mal de temps et j'espère que de cette manière je pourrai aussi aider pour le développement des échecs au féminin en particulier.
Le développement de l'image des meilleures joueuses/joueurs et la communication par les réseaux sociaux peut apporter beaucoup sur le plan médiatique et pourquoi pas apporter de nouveaux sponsors.
Ces influenceuses ont obtenu du succès uniquement grâce à leur travail, leur talent et souvent de façon individuelle. La médiatisation des échecs par l’élite féminine est un véritable privilège. Elle offre une image rayonnante à l’ensemble de la communauté échiquéenne. Comment la fédération et ses structures peuvent mieux accompagner ces mouvements individuels afin de séduire un nouveau public?
- Le développement de l'image des meilleures joueuses/joueurs et la communication par les réseaux sociaux peut apporter beaucoup sur le plan médiatique et pourquoi pas apporter de nouveaux sponsors. On est totalement soumise à nous-même sur ce domaine et c'est loin d'être facile pour une joueuse professionnelle! Je suis sûre que la fédération a des personnes compétentes qui pourraient nous aider. Le manque de communication et les tensions générales avec le haut-niveau n'ont pas vraiment permis à ce que quelque chose puisse se mettre en place.
Il est incontestable que le jeu d’échecs a connu un grand déficit d’image auprès du grand public - perçu comme un jeu froid et sans émotions. Le streaming et Netflix sont venus pour dépoussiérer le monde des échecs. The Queen’s Gambit fait l’unanimité chez les spectateurs, pas seulement les passionnés mais va bien au-delà en enthousiasmant un public très large faisant exploser les ventes d’échiquiers à un public sans doute moins orienté compétition mais avec une grande envie de jouer en loisirs. Est- ce que les clubs n’ont pas une opportunité à saisir? Et comment séduire durablement ce public émotionnel qui n’a pas forcément l’esprit compétition ?
- C'est certain que l'intérêt grandissant pour les échecs va attirer plus de joueurs et de joueuses dans les clubs. L'aspect compétition est évidemment assez lié aux clubs, mais il y a aussi un côté social qui peut séduire ce public, qui a découvert les échecs grâce à la série. Après toute cette période, je pense que les gens en ont un peu marre de vivre et travailler à travers le numérique, et il se peut que beaucoup de personnes souhaitent retrouver l'ambiance du jeu en présentiel.
Il faudrait que la fédération renoue le dialogue avec les clubs pour connaître leurs besoins au moment de la reprise. Elle pourrait aussi aider les clubs par rapport à leur communication et l'organisation de journée de promotion au moment où il sera possible pour les clubs de rouvrir.
Quelles nouvelles formules pourrait-on mettre en place ?
- Les compétitions hybrides qui ont commencé à être développées par la FIDE peuvent être une bonne formule. Cela permettrait d'attirer les personnes qui jouent beaucoup en ligne vers les clubs en leur proposant des tournois avec les mêmes conditions sans qu'il y ait le risque de triche puisque chaque club à un arbitre en présentiel qui surveille. Cela permet aussi d'éviter les frais de déplacement pour les clubs.
Je pense qu'il existe un déficit d'image de la fédération lié à toutes les affaires de conflit d'intérêts et des articles de presse qui empêchent aujourd'hui une bonne exposition médiatique.
Comment médiatiser les échecs au grand public?
- Je pense qu'il existe un déficit d'image de la fédération lié à toutes les affaires de conflit d'intérêts et des articles de presse qui empêchent aujourd'hui une bonne exposition médiatique. A l'heure où l'entreprise Vivendi a choisit de mener une action de promotion autour des échecs à New York avec Garry Kasparov sur le thème du “jeu de la dame” , je ne comprends pas que nous soyons incapable d'organiser à Paris avec la FFE de vrais évènements d'ampleurs avec des entreprises ayant des moyens importants. Aujourd'hui, il faut créer des actions de promotions avec les streamers , aller vers les entreprises et donner une image apaisée des échecs pour attirer des sponsors. Il faut aussi associer les organes déconcentrés pour des évènements locaux liés aux échecs.
Il faut comprendre qu'il y a aujourd'hui une fracture liée au numérique entre les clubs qui ont pu intégrer le jeu en ligne et ceux qui ne le peuvent pas faute de formation adaptée.
On a pu s’apercevoir avec la crise sanitaire que beaucoup d’habitués des clubs se sont reportés vers le jeu et l'analyse en ligne suscitant un formidable engouement, une nouvelle approche du jeu. L’informatisation et la connectivité des clubs deviennent une nécessité pour continuer à séduire (Séances de visionnage collectives de parties et d'analyse sur grand écran; connection inter-clubs etc…).
Au 21ème siècle un club moderne ça pourrait être quoi?
- Avec la crise du Covid, un certain nombre de clubs ont réussi à s'adapter en proposant des tournois et des cours en ligne. Pour d'autres, cela a été plus difficile et la fédération aurait pu être plus présente pour les aider à faire cette transition. Il faut comprendre qu'il y a aujourd'hui une fracture liée au numérique entre les clubs qui ont pu intégrer le jeu en ligne et ceux qui ne le peuvent pas faute de formation adaptée. Plus généralement , il existe une lassitude actuelle liée au numérique car beaucoup d'adhérents aiment le jeu en présentiel de sorte que le sujet est à manier avec précaution. La fédération devrait pouvoir aider les clubs dans cette démarche grâce à des supports pédagogiques, des formations, plus de masterclass ciblées et réfléchir à intégrer la compétition hybride dans nos pratiques.
Les élites de ce sport sont-elles suffisamment connectées aux clubs?
- Les tensions entre les joueurs de haut-niveau et la fédération n'ont fait que s'aggraver ces dernières années et les propos récents de Bachar Kouatly sur les joueurs professionnels ne vont pas dans la direction d'un possible apaisement. Cela ne donne pas du tout envie de s'impliquer sur des initiatives proposées par la fédération actuelle. La connexion entre joueurs de l'élite et FFE étant rompue, on est forcément moins lié aux clubs. Je continue de participer à des évènements de promotion mais c'est toujours par un contact direct avec les clubs ou les ligues, qui doivent gérer toute l'organisation.
Il est important que le haut niveau puisse être accessible aux clubs et montrer l'exemple à travers des évènements permettant de recréer du lien mais la fédération doit soutenir ses joueurs en retour.
N’y a-t-il pas une opportunité Online à saisir pour que les grands maîtres de ce sport puissent avoir une présence active auprès des petits clubs? Quel rôle et sous quelles formes la fédération doit intervenir pour appuyer ces initiatives?
- Il y a beaucoup de services en ligne que l'on peut proposer grâce aux outils actuels : tournois, simultanées, master class, conférences. Il est important que le haut niveau puisse être accessible aux clubs et montrer l'exemple à travers des évènements permettant de recréer du lien mais la fédération doit soutenir ses joueurs en retour.
La fédération pourrait facilement développer ces services. Il faudrait juste renouer le dialogue avec les joueurs de haut-niveau pour que cela puisse se faire.
La mixité est un thème central dans tous les débats. Les 3 listes ont reçu des questions ouvertes de Sonia Bogdanovsky de Échecs & Mixte.
Nous aimerions connaître ton positionnement sur ce sujet, et quelles sont à ton avis les actions à mener en priorité pour permettre un meilleur développement du secteur féminin dans les échecs?
- En tant que colistière sur la liste Unité, j'ai rédigé une réponse détaillée sur les questionnements d'Echecs et Mixte. (vous pourrez la retrouver sur la page Facebook de la liste Unité) Toutes nos propositions sont sur le site https://uniteffe2020.fr
Le rôle des équipes de France, la vitrine de notre sport
Pourrais-tu nous décrire le parcours d’un joueur sélectionné en équipe de France? Qui s’occupe de la sélection? Y a-t’ il un coaching spécial pour l’ équipe? des Stages etc..?
- La sélection de l'équipe se fait environ 3 mois avant la compétition (Olympiades ou Championnat d'Europe par équipe). Matthieu Cornette a le rôle de capitaine-sélectionneur-entraineur de l'équipe féminine depuis plusieurs années maintenant.
On a malheureusement de moins en moins d'aide pour s'entraîner. En 2018, nous avions fait un stage de préparation avec l'équipe et reçu une bourse pour environ 10 heures d'entraînement particulier. En 2019, seule la bourse nous a été accordée pour 6h d'entraînement.
En comparaison de ce qui se fait dans d'autres pays c'est très peu et c'est dommage car on a une équipe très compétitive, qui pourrait viser les premières places. C'est toujours plus difficile de garder sa motivation quand on ne se sent pas soutenue.
Les ressources d'une joueuse professionnelle ne permettent pas de se payer un entraîneur. Pour être plus performant, les joueurs devraient pouvoir bénéficier d'un soutien sur toute l'année avec notamment plus de stages réguliers
En fonction de ton expérience, quels sont les besoins des joueurs pour être dans les meilleures conditions et au bénéfice de l’équipe?
- Les ressources d'une joueuse professionnelle ne permettent pas de se payer un entraîneur. Pour être plus performant, les joueurs devraient pouvoir bénéficier d'un soutien sur toute l'année avec notamment plus de stages réguliers.
Ces stages sont aussi très positifs pour la cohésion d'équipe et boostent la motivation des joueurs.
Aurais-tu un message personnel à partager pour donner envie de jouer à une nouvelle génération de joueuses?
- Après toutes ces années, j'apprend toujours de nouvelles choses car le jeu d'échecs est tellement riche qu'on en a jamais fait le tour!
J'ai eu la chance de faire des expériences incroyables grâce aux échecs. J'ai beaucoup voyagé, parfois très loin comme en Indonésie, où le jeu d'échecs est très populaire. On découvre de nouvelles personnes, de nouvelles cultures et on est connecté par cette passion commune. Cela m'a aussi beaucoup apporté sur le plan personnel et social.
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