Véritable missionnaire du jeu d’échecs
Figure sympathique, charismatique et passionnée du plateau d’échiquier depuis 30 ans. Entraîneur national et joueur confirmé (2082 elo). Son club : Les échecs vers la réussite à Tourcoing
Pour ceux qui ne te connaissent pas, pourrais-tu nous rappeler ton parcours échiquéen ?
- J'ai appris à jouer tardivement dans le club de Cappelle la Grande. J'avais 12 ans, j'étais hyperactif. Mon frère Aldo (bon joueur, classé 1800) y jouait aussi. J'ai eu la chance de rencontrer Michel Gouvart, président du club (et organisateur du célèbre Open de Cappelle la Grande), il a joué le rôle de « 2ème père » à l'époque. Mes parents se séparaient et j'avais besoin d'une présence masculine, simplement parfois déjà pour me recadrer...
Qu’est-ce qui t’a motivé à devenir entraîneur?
- Alors je pense toujours avoir été pédagogue, mais plutôt, même parfois (souvent lol) être un éducateur... Je ne reviendrai pas sur mon passé, mais entre 12 et 18 ans j'étais un délinquant, je cherchais ma voie...
Je suis allé aux Championnats de France jeunes à Verdun en 1993. J'ai dû remplacer un entraîneur sur place « défaillant » et les jeunes que j'ai pris sous mon aile ont réussi : un champion de France, deux autres 2ème et 3ème. On a donc pensé que c'était peut-être ma vocation.
Lorsque je suis revenu de ces championnats , j'avais un concours pour être garde pêche/garde forestier. Il y avait 12 places, 450 concurrents et j'ai terminé 13ème... (la place du « con »). J'ai donc opté définitivement pour la carrière d'entraîneur car joueur professionnel, l'autre voie pour laquelle j'aurais pu opter était trop indécise. Est ce que je serais assez fort, pourrais-je en vivre dignement ?
Y a-t-il des entraîneurs qui t’on inspiré? Etc..
- Darko Anic , Nicola Spiridonov, Vladimir Chuchelov sont des exemples. Xavier Parmentier et Pascal Chomet m'ont impressionné avec un grand nombre de talents passés par leur méthode, Etienne Bacrot également. J'ai beaucoup aimé aussi Mario Mancini, un entraîneur des HDF qui a joué longtemps à Lille avant de migrer à Villepinte. Pour ma part, je n'ai pas vraiment eu d'entraîneur (dommage...). C'est Michel Gouvart qui m'a beaucoup appris avant que je ne devienne autodidacte.
Enseignement des échecs en milieu scolaire :
Depuis très longtemps la FFE travaille pour introduire l’apprentissage du jeu d’échecs dans les écoles primaires. Tout le monde est d’accord et comprend les vertus que cela apporte à nos jeunes, pour ces jeunes scolaires et les enseignants qui veulent s’adapter à cette activité.
Toi qui est un instructeur de grande expérience, nous souhaiterions que tu nous livres ton approche pédagogique .
- Mon approche pédagogique est de donner aux enfants l'envie d'aimer le jeu, de leur imager le jeu, de leur donner envie de créer, d'imaginer, de rêver. On doit garder ce côté ludique. Ils apprennent des notions importantes tout en ne pensant que jouer.
J'ai gardé une âme d'enfant. Ceux-ci ressentent ma passion pour les Echecs, pour le jeu, mon envie de les divertir, de leur transmettre sans jamais les juger. J'aime quand ils se trompent, quand ils ne savent pas. Ils ont le droit à l'erreur, de ne pas savoir. On oublie parfois que ce sont des enfants, ils ont bien le temps de devenir adultes, ils doivent profiter de cette innocence, de cette naïveté. J'adore car les enfants sont sans filtre, ils disent ce qu'ils pensent.
Y a-t-il une méthode Cappon?
- Oui. Au fil du temps, des années, de par mon expérience, j'ai construit une méthode Cappon, elle a fait ses preuves jusqu'à présent sinon je ne serais plus dans le milieu des Echecs. Les enfants, comme dans n'importe quel sport, aiment la discipline mais ils aiment aussi souvent la personne qui leur apprend cette discipline. Il faut un cadre certes , de la discipline parfois aussi, mais surtout il faut leur montrer qu'on aime ce jeu et eux le ressentent aussi...
Je pourrais développer et expliquer cette méthode, vous en aurez un aperçu prochainement car je prépare un livre sur celle-ci...
La jeunesse
Est-ce qu’on peut comparer l’enthousiasme chez les jeunes joueurs d’aujourd’hui par rapport à tes débuts ?
- Alors l'enthousiasme est toujours là, c'est sûr même si à l'époque (et pas jadis svp) on travaillait seul... il y avait moins d'entraîneurs, moins d'outils.
Quelles sont les grandes différences?
Je pense que les outils matériels ou humains sont tellement différents... A l'époque à mes débuts en 1988, il n'y avait déjà quasi pas d'ordinateurs, on était aux prémices de Chessbase (en noir et blanc à l'époque!)) et des modules comme Fritz. Il n'y avait quasiment aucune base de données, aucun livre, il y avait surtout de la transmission de savoir...Il n'y avait quasi aucun entraîneur en France, un 2200 était dans les cinq meilleurs joueurs français quasiment... Aujourd'hui l'information est rapide à trouver, il y a des tonnes de vidéos sur internet (à se méfier quand même car la plupart ne sont même pas entraîneurs...). La grande différence est je pense la façon de raisonner, de réfléchir, de mémoriser... De nos jours, les jeunes travaillent plus les ouvertures pour avoir des résultats rapides que les bonnes fondations du jeu. Cela ne signifie pas que c'est moins bien, juste une approche différente...même si j'émets quelques réserves !
La jeunesse est très proche des nouvelles technologies. Cette jeunesse peut-elle être un guide pour orienter une modernisation structurelle des clubs ?
- Oui cette jeunesse peut apporter beaucoup au jeu : plus de communication, plus d'ouverture vers l'extérieur. Elle peut aussi modifier les clubs en apportant de nouvelles choses, des nouvelles idées !
Technologie
Jusqu'à présent, les échecs présentaient l’avantage de pouvoir se mettre en place avec très peu d’investissements. Avec la crise sanitaire beaucoup d’habitués des clubs se sont reportés vers le jeu et l'analyse en ligne suscitant un formidable engouement et une nouvelle approche du jeu.
L’informatisation et la connectivité des clubs sont-elles une nécessité pour continuer à séduire (séances de visionnage collectives de parties et d'analyse sur grand écran, connections inter-clubs etc…)?
- Je pense sincèrement que rien ne remplace le réel, le présentiel. Le jeu d'échecs permet des rencontres , des échanges, du lien social. Bien sûr qu'internet nous a aidé pendant cette période de confinement, mais n'est-ce pas plus agréable d'écouter un coach en direct, de lui poser des questions, de sentir son amour du jeu, des pièces, de voir dans ses mimiques, ses traits de comportement sa passion ?
Internet est bien quand il peut raccourcir des distances, quand on joue à des milliers de kilomètres, quand on ne peut être présent pour voir le tournoi sur place. Mais prendre un café (ou autre lol) avec son adversaire, échanger sur un vrai échiquier avec des gens qui viennent se greffer autour, n'est-il pas top ?
Différences de moyens entre le petit et le grand club
Face à cette nouvelle demande tech, les petits clubs doivent être plus accompagnés (financièrement).
Les communes vont-elles accepter l’accompagnement vers la modernisation ?
- Les communes acceptent quasiment toujours quand vous vous occupez de leurs habitants (au lieu de traîner dans la rue , vulgairement). Dans les différentes villes ou je suis passé (Cappelle la Grande, Vandoeuvre, St Quentin, Lille, Tourcoing) chacune fait le maximum d'efforts pour votre club si celui-ci fait des efforts pour la ville. C'est un échange, chacun doit apporter quelque chose à l'autre...
Quelles sont les difficultés que rencontrent les petits clubs (face aux grands) qui veulent s’engager vers la compétition.
- La plus grande difficultés est de se faire connaître. A Tourcoing par exemple, il existe plus de 1500 associations. En 7 mois, elles savent toutes qui nous sommes, ce que nous faisons ! Il faut communiquer !! Si vous voulez être vu, il faut faire des choses pour que l'on vous voit, vous remarque. Les Echecs ont la chance de pouvoir toucher tous les publics, et peu de sports peuvent garantir cela !
Famille, loisir et les échecs en dehors de la compétition
Nous avions posé une question à Laurie Delorme sur ce sujet :
De plus en plus de parents, grands-parents souhaitent partager des activités avec leurs enfants/petits enfants.
- Oui je suis d'accord avec Laurie (bravo au passage pour ce qu'elle fait à Marseille, c'est gigantesque!). Avec la Covid, mais aussi l'apparition des consoles ces dernières années, des téléphones portables, le cordon s'est un peu cassé parfois entre les différentes générations d'une même famille. Les Echecs permettent justement de recréer ce lien, de permettre des relations inter-générationnelles, de partager un moment autour d'un échiquier avec ses grands parents. C’est bien plus facile qu'une partie de Mario Cart sur la Wii...
Il nous faut casser aussi cette image d'un jeu vieux et intellectuel. Les Echecs sont un jeu passionnant. Il y a tout ce qu'on peut trouver dans un jeu vidéo en mieux : les émotions, l'adrénaline, la passion, les échanges, les rires...
N'y a- t-il pas une opportunité ‘’sociale’’ à les accueillir afin de permettre l’initiation simple (ludique) du jeu d’échecs ?
- Mais les Echecs c'est du social ! Réunir des gens, les faire échanger, partager, c'est du lien social. On doit aussi préconiser les Echecs loisirs. Beaucoup de personnes cherchent simplement un adversaire, qui est parfois un prétexte pour rencontrer des gens, pour être moins seul...
Le jeu d’échecs est souvent perçu par le grand public comme un sport intellectuel.
Pourtant le joueur du dimanche ‘’s’éclate’’ en faisant sa partie. C’est donc qu’il y a aussi un côté fantaisie.
Selon toi, qu’est-ce qui peut être fait pour séduire ce grand public à venir découvrir et se mettre à pratiquer régulièrement ?
- Alors je n'ai pas la parole d'Evangile, je ne suis qu'entraîneur d'Echecs pas magicien. Mais je pense que les clubs ont aussi un effort à faire dans l'accueil de ce nouveau public, ne pas mettre la pression avec des inscriptions, des compétitions.
Sortez un jeu d'échecs sur la plage, dans une galerie marchande, dans la rue simplement et vous verrez le nombre de personnes qui viennent regarder. Il faut réussir ensuite ce passage vers le club. Il faut de l'ambiance, de l'échange, du partage, tout ce dont on a besoin dans la vraie vie en fait. Une vie sans ami est quand même bien triste non ?
L’Inclusion :
Nous te proposons d’aborder le sujet de l’inclusion, un sujet qui nous tient particulièrement à cœur. Pouvons-nous profiter de ta riche expérience auprès des jeunes mais également dans les milieux plus difficiles (univers carcéral) ?
Quand tu interviens dans des quartiers difficiles ou des prisons, quels sont tes ressentis sur le bienfait des échecs auprès de ces populations ?
- Pour ma part, le quartier difficile n'existe pas vraiment. Ce sont « la politique », les gens qui le définissent difficile. Comment te dire cela, c'est un peu comme le racisme, c'est la peur ou la méconnaissance de l'autre...Chaque fois que j'interviens dans ces quartiers, ou en prison, je m'intéresse à l'autre, j'essaie de connaître son parcours, son chemin, ses envies. Je ne le juge pas, j'essaie de le valoriser, de lui montrer l'intérêt qu'on lui porte ou qu'on doit lui porter comme n'importe quel autre humain !
Je pourrais en parler des heures, j'ai vécu tellement d'expériences, de moments, dans ces endroits. J'y ai beaucoup appris, sur moi-même également. Ils m'ont tous beaucoup apporté. J'ai vécu des moments incroyables de solidarité, d'humanité, d'humilité. Et pourtant on m'a quand même mis un 357 magnum sur la tête !
Quand tu donnes aux gens, quand tu viens là avec ton cœur, que ce soit avec les échecs, des boules de pétanques, un jeu de cartes , un ballon, les gens viennent te rencontrer, discuter, échanger, partager.
Les échecs ont la faculté de toucher les gens, ils y découvrent tellement de concepts, de vertus de la vie (faire des choix, anticiper, réagir, agir) qu'il est facile de leur montrer par quelques exemples que ça leur servira tôt ou tard.
Y a-t-il une différence d’approche pédagogique?
- L'approche pédagogique ne change pas vraiment, peut-être plus le vocabulaire utilisé, les intentions aussi. Mon expérience me permet aussi de toucher à des points plus sensibles, de leur parler d'autres vécus. Certes il faut « un certain charisme » je dirai car il ne faut pas oublier que parfois, en face de nous, ce ne sont pas des enfants de cœur. Mais je le répète, je ne suis pas là pour les juger, la justice l'a fait moi je suis là pour leur donner les bonnes armes quand ils sortiront. Car c'est un but quand même, qu'ils sortent un jour ! Il peut y avoir des réticences à apprendre les Echecs mais ici on prêche un convaincu avec moi et ce sont les Echecs qui m'ont évité d'être à leur place. Mon passé me permet de leur dire et de montrer que les Echecs sont une force, à surtout ne pas négliger.
Faire du jeu d’échecs un modèle d’inclusion sociale qui puisse être repris par tous. Il ne faut pas se mentir, on n'est pas tous à l'aise face aux handicaps.
Selon toi, quelles seraient les principales actions à mener pour faciliter l’échange handicapés/valides ?
- Alors pour moi franchement y a pas de valide, non valide, je suis pareil avec n'importe quel humain... Comme je le disais tout à l'heure, c'est surtout la peur de l'autre, l'inconnue, la méconnaissance qui créent des différences. Les Echecs ont cette faculté de pouvoir être joués par tous, peu importe son âge, sa nationalité, son genre, ses capacités intellectuelles ou physiques. C'est à nous « valides » de faire l'effort, d'aller vers l'autre. On pourrait voir que souvent ce public a mieux développé tous ses sens que nous valides ! Je travaille avec des mal voyants, non voyants, handicapés physiques et tout se passe à merveille du moment qu'on leur parle comme à n'importe qui d'autre !
Pour ma part je ne me sens pas différent d'eux… si parfois peut-être moins fort qu'eux, plus matérialiste, moins libre qu'eux.
Valeurs humaines et morales
Lors d’une récente interview accordée à Andreea Navrotescu tu as dis la chose suivante : “la dame est importante, pas seulement aux échecs mais aussi dans la vie de tous les jours donc le garçon doit en prendre soin.” C’est une belle leçon de morale.
Dédicace de Oriane Soubirou
"John est avant tout un passionné du jeu d'échecs.
Il sait transmettre sa passion à toute personne, quel que soit son genre, son âge, son statut social ou ses expériences passées.
Et pour cela, chapeau John !"
QUESTIONS BLITZ
Quel est le premier livre d'échecs que tu fais lire à tes élèves?
- Zurich 53, mais mes élèves lisent moins de livres que moi, ils attendent les miens pour s'y mettre...
Si demain tu devais faire un tournoi exhibition mixte, contre qui aimerais-tu jouer?
- J'ai rencontré beaucoup de joueuses, et pris de belles tannées, contre Marie Sebag, Pauline Guichard, Sophie Milliet, alors si je dois être de nouveau ridicule pourquoi pas Almira , Andreaa Cécile ou ma femme Nadia hhhhh pour ne pas avoir de problèmes en rentrant !
Quelles sont tes 3 joueuses internationales préférées en nous précisant leur style de jeu ?
- Judith Polgar même si elle ne joue plus, attaquante, j'ai eu la chance de la voir plusieurs fois, d'échanger avec elle même. Alexandra Kosteniuk, style offensif également et peut être la Reine d'Angleterre (joke)
Tu dois réécrire sur wikipedia la définition du jeu d’échecs : tu écris quoi ?
- Les Echecs, un jeu qui te fera voyager, rêver, créer , imaginer, mais surtout qui te fera rencontrer des gens formidables.
La personnalité d'un joueur en dehors de l'échiquier correspond-elle à sa façon de jouer ?
- Alors ça, c'est un de mes outils en milieu pénitentiaire. J'arrive très vite à lire, à travers les premiers coups, la personnalité de la personne en face de moi. Je demande souvent à mes adversaires si je peux les « définir » et je tombe souvent très juste.
Question de Romuald De Labaca
Salut John! Qu’est ce qui te fait garder intacte ta passion d’enseigner les échecs depuis de si nombreuses années?
- Salut Romu, heureux de te lire. Ma passion, elle vient des rencontres, des échanges, des moments de vie, de partage que m'apportent les Echecs.
Enseigner les Echecs n'est juste qu'un prétexte pour me permettre des rencontres inoubliables, que ce soit avec les enfants (qui me permettent de rester jeune) ou avec les adultes qui me permettent de vivre des moments de bonheur absolu...
Dans le cadre de nos interviews, nous proposons à l'interviewé de poser une question à la prochaine personne que nous allons interviewer. Dans ton cas, ce sera Françoise Cwiek … Quelle question aimerais-tu lui poser ?
Bonjour à Françoise d'abord, bravo pour tout ce qu'elle fait, et qu'elle fera !
Qu'ont apporté les Echecs dans ta vie de tous les jours ?